INTERVIEW D'UN VIEUX ROCKERS !! Gilbert S. alias Tony Sllm a aujourd'hui 64 ans, Il a bien connu l'arrivée du Rock and Roll en France. Je l'ai rencontré en 1963 lors d'un concert de Gene Vincent à Paris. Nous nous étions perdus de vue et par le plus grand des hasards, nous nous sommes retrouvés Il y a 3 ans. ll a assisté au retour des Comets à Paris, lui qui a eu le privilège de les voir eu 1958 à l'Olympia. J'ai pensé que lui poser quelques questions sur ses souvenirs serait intéressant pour les lecteurs de Rock and Roll Revue.
OCTOBRE - DECEMBRE 2002
Big Joe : Gilbert peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
Gilbert : j'ai 64 ans et j'ai bien sûr bien connu le début du Rock and Roll à Paris. J'habitais à l'époque à la Courneuve, un repaire de brigands, mais sympathiques dans la mesure où il ne nous serait jamais venu à l'esprit d'aller piquer le sac d'une vieille dame ou de casser la gueule à des gens extérieur à notre monde!
BJ : pourquoi ce surnom de Tony Slim ?
(que je t'ai d'ailleurs emprunté avec ton accord pour notre adresse e-mail) :
G : c'est tout simple, j'étais amateur de bandes dessinées et à l'époque il y avait un magazine, Tarou je crois, à moins que ce ne soit Vigor, qui relatait les exploits d'un jeune anglais intrépide du nom de Tony Slimoughan et comme je barbais mes potes avec ce héros, Slimoughan est devenu Slim et le surnom m'est resté.
BJ : comment as-tu connu le Rock and Roll en France ?
G : J'étais apprenti typographe à France-Soir rue Réaumur, c'est mon frère typographe qui m'y avait fait embaucher. A l'époque, le boulot était du ; je travaillais jusqu'à 5h du matin, mais j'avais le dimanche pour retrouver mes potes. Quelquefois mon frère m'emmenait avec lui dans des concerts de Jazz. C'est comme cela qu'en 1954 j'ai pu voir celui de Lionel Hampton à l'Olympia. De la musique, je ne connaissais que ce qu'il ramenait à la maison et me faisait écouter sur son Eden (une marque d'électrophone), surtout du Jazz. Car en France, à cette époque, ce n'était pas compliqué, il y avait Luis Mariano, Tino Rossi, Gloria Lasso, etc. Le désert complet ! Je me souviens quand même qu'à la fin des années 50, il y avait une émission sur Paris Inter le "Collège du Rythme" -je crois que c'était cela le titre-, de Roland Forez, où on a pu écouter Freddie Bell, Elvis, etc. Mais c'était assez confidentiel et en plus ça passait vers 17h, heure où la plupart d'entre-nous étions au boulot. J'ai dû l'écouter une fois ou deux.
BJ : Est-ce qu'à cette époque tu as entendu parler du Rock and Roll français, de MacKac, Henry Cording ou Moustache?
G : Tu connais très bien mon point de vue là-dessus: ça me fait marrer quand on parle de Rock and Roll français! Le Rock and Roll n'est ni anglais, ni français, Il EST américain! Tu mas fait écouter des choses superbes, mais pour moi tout ça c'est du Jazz, même si tu n'es pas d'accord. Pour en revenir au Rock and Roll, je pense que tout a vraiment commencé avec le film "Graine de Violence" et la chanson "Rock Around The Clock". On est allé chez Raoul Vidal près du métro Mabillon chercher le disque de Bill Haley, j'ai pas dis acheter: j'espère que tu me comprends. Faut dire que 20 mecs en blouson de cuir, coiffés à la diable dont 3 ou 4 distrayaient la vendeuse qui d'ailleurs n'en avait rien à foutre vue qu'elle était de notre âge et sûrement mal payée. Le disque, je devrais même dire les disques, était vite escamoté! Moi, c'est la face B avec "Burn That Candle" qui me plaisait le plus.
BJ: est-ce qu'à cette époque vous connaissiez des chanteurs de Rockabilly comme par exemple Johnny Bumette ou Johnny Carroll qui sont sortis justement à cette époque ?
G : Sûrement, puisque tu le dis, que ces disques sont sortis, mais je ne connaissais personne qui les possédait à l'époque. Le seul qui avait des disques de Rockabilly, mais à l'époque pour nous tout était Rock and Roll, c'était un dénommé Johnny Sherer-Bardin dont le père était américain et qui nous faisait écouter des choses intéressantes. C'est chez lui par exemple, que j'ai entendu pour la 1ère fois de ma vie "Be Bop a Lula" et quelques titres de Little Richard et Buddy Holly, mais on ne se rendait pas compte, car pour nous c'était d'abord Bill Haley, puis un peu plus tard Elvis.
BJ : Parle-nous de la première projection de "Rock Around The Clock".
G : Lors de la 1ère projection du film, avant il y avait autant de "pèlerines" que pour une manif de la CGT.
BJ : C'est quoi une "Pèlerine" ?
G : C'était le surnom que l'on donnait aux flics qui avaient des pèlerines sur l'épaule et s'en servaient comme des matraques. Je n'avais jamais vu autant de motos devant le cinoche, moi j'avais à l'époque une Terrot. Dès le générique, tout le monde s'est mis à crier dans la salle, surtout les filles. A plusieurs reprises, la salle fut rallumée et le patron (je suppose) est venu sur scène pour nous faire la morale, tu peux imaginer comment il a été accueilli, encore heureux qu'il sen soit sorti indemne. Jusqu'à la fin du film, ce ne fut que hurlements et vociférations. Du film, je me souviens d'un petit blondinet qui jouait du couteau et surtout j'étais un peu emmerdé vu que j'adorais Glenn Ford et cela me faisait chier de le voir jouer le rôle de moralisateur.
BJ : Tu ne confonds pas avec "Graine de Violence" ?
G : Ah oui, tu as raison! "Rock Around The Clock", on l’a vu quelques temps plus tard, mais l'ambiance était la même si ce n’est encore plus survoltée car là on voyait comment dansaient les jeunes américains et on voyait surtout Bill Haley et Freddie Bell. Là aussi je pense qu’il y a eu des bagarres dans la salle avec "les pèlerines", mais je ne m'en rappelle plus très bien!
BJ : Lors de la venue de Bill Haley à l'Olympia, que s'est-il vraiment passé?
G : Quelques mois avant, on avait vu le film "Rock Around The Clock" et on s'était procuré (voir plus haut...) les disques de Bill Haley et on connaissait les chansons, surtout "Mambo Rock". Pourquoi "Mambo Rock" ? Peut-être parce que le refrain était plus facile à retenir. Et cette chanson en version anglaise chantée par des parigots, c'était grandiose ! On a raconté n'importe quoi sur ce concert, comme quoi on avait arraché les sièges et que l'on avait saccagé l'Olympia, etc. Enfin ce n’était pas tout à fait exact. Quand Bill Haley est apparu sur scène, nous étions un petit peu déçu par son allure, il ressemblait plus à un gars pépère qu’à un chanteur de rock, mais quand les Comets ont commencé à chanter et à jouer, alors là ce fut autre chose! C'était la folie, on n'avait jamais vu çà! Un contrebassiste monté sur sa contrebasse et un saxo se déshabiller tout en chantant, la folie je te dis ! Des filles et des gars se sont mis danser SUR les fauteuils qui n'ont pu résister et une bande de gitans dont les meneurs étaient les frères Mascaro ont achevé le travail, Alors lorsque pour la venue des Comets il y a 2 ans à St Maurice j'ai entendu un mec se vanter devant des jeunes, d'avoir participé à la destruction de l'Olympia. Cela m’a fait marrer! Tu te rappelles, je voulais lui dire qu'il racontait des bobards, mais tu m'en as empêché et je pense que tu as bien fait. Donc pour en revenir au concert de Bill Haley; il y avait "des pèlerines" partout, dans le hall, dans la salle, mais cela ne nous a pas empêchés de nous amuser. Quand j'ai entendu le CD, cela m’a rappelé vraiment l'ambiance qu'il y avait ! Il est formidable, mais il ne pourra jamais, malgré sa superbe qualité, transcrire ce qui s'est passé ce jour-là !
BJ : Et vous avez eu des problèmes avec ces "pèlerines"?
G : Tu rigoles! Ce sont eux qui en ont eus ! Fallait les voir détaler devant nous, c'était assez comique. Tu penses ! On avait l'habitude, la plupart d’entre-nous venaient de banlieues ouvrières où on avait l'habitude de se coltiner avec les flics !!
BJ: Revenons au Rock and Roll. C’est Bill Haley ou Elvis qui a déclenché la vague du rock en France ?
G : Sincèrement, je pense que c'est avec Bill Haley que les premiers amateurs de Rock’n’roll sont apparus, même si tout a changé avec l'arrivée d'Elvis et son film "Love Me Tender" où on le voyait chanter avec son costume de cow-boy ! Plus de personnes se sont intéressées à cette musique et à partir de là je crois que le Rock and Roll a démarré à Paris et en France, avec l'arrivée d'Elvis, de Ricky Nelson, etc.
BJ : Faisais-tu partie de ceux que l'on a appelé les blousons noirs ?
G :On nous a collé l'étiquette de blouson noir alors que nous ne faisions que nous amuser d'une autre façon que les autres jeunes "bien peignés", surtout des quartiers "friqués", "les blousons dorés" .qui roulaient en voitures décapotables. Tu as peut -être pu en voir dans le même genre dans le film "Les Tricheurs" qui était sorti à l'époque. Dans ce film, ça nous faisait marrer de voir des jeunes friqués jouer aux durs !! Je me rappelle qu'à un moment on en voyait un qui tirait un disque. Eh bien s'il avait fait comme ça dans la réalité, il se serait fait choper rapidos ... Ce n'était pas du tout notre monde et on s'en foutait un peu de ces mecs, sauf lorsqu'on les rencontrait. Alors là je peux te dire qu'ils s'en souvenaient eux et leurs gonzesses ! Bien sûr, il y avait des bandes! Mais cela dépendait de quelle bande il s'agissait! Une comme la nôtre ne pensait qu'à s'amuser! Evidemment on faisait beaucoup de bruit lorsque l'on descendait à Paris avec nos motos et on impressionnait beaucoup de monde avec nos motos, mais bon, on na jamais tué personne! Nous respections les filles, surtout celles des potes partis en Algérie qui parfois revenaient et parfois ne revenaient pas. Et là, c'était dur, surtout quand c'était un copain que l'on connaissait, Moi de ce côté-là, j'ai eu de la chance, j'avais mon frère en Algérie et on m’a affecté à Fontainebleau, je ne sais pas pourquoi, mais c'est ainsi. Alors quand j'ai entendu dans un concert où tu m'avais emmené -pour ne pas dire traîné- il y a quelques temps, certains petits c ... tenir un discours raciste, je me dis que s'ils avaient tenu de tels propos à l'époque, ils se seraient fait écharper par mes potes vu que la plupart des rockers venaient de la banlieue dite rouge, et donc avaient des parents plus ou moins communistes et avec nous français il y avait des ritals, des arabes, des gitans ... Il n’y avait aucune différence entre nous tous ; le principal, c'était de ne pas tomber dans la ligne tracée par les gens qui voulaient nous imposer leur façon de penser, donc on ch ... sur la politique, je ne sais pas si je me fais bien comprendre