Bonjour à tous, au rayon "délires" et exentricités, le vieux Frantic vous envoie un autre de ses "billets" en vous souhaitant bomme lecture & Keep'on Rockin':
lBIGOUDE
"C'est pas fléché !" s'écria la Duchesse d'une petite voix tressaillante en s'avançant dans la pénombre de la ruelle.
"- T'inquiète! on peut y aller peinard !" que j'lui dis. Du coup, elle prît la tête en faisant claquer ses talons-aiguilles sur les vieux pavetons d'une telle façon que j'me dis que si y'avait des péquins qui pionçaient derrière les décors, ça n'allait pas tarder à tourner au grabuge.
Elle était déjà au bout de la rue, posant dans une attitude de défi, comme dans les films hollywoodiens. Bondieu, quelle mouche l'avait piquée à faire tout ce kinos. Là, du coup, Bibi commença à fluber. J'nous voyais mal face aux matadors de la tierce de Tolbiac, les ceusses qu'ont des lames de rasoir au bout des santiags et des barres de fer à l'accueil. Et elle se fend la frimousse d'un sourire, m'voyant la rattraper.
"- C'est de quel côté ? qu'elle fait.
- Juste là ; on y est !". Faut dire que pour se rendre chez Bigoude à vingt-trois heures trente, y'a pas trente-sixsolutions. Soit on passe par la Butte aux Cailles, soit on remonte la rue du Moulin de la Pointe. Le tout c'est de pas trop s'exposer, de toutes manières : éviter les avenues.
Quand Johnny et Bigoude se rencontrent, ça fait un rock'n'roll ...mais pas c'ui qu'vous pensez!. Parce qu'il était un peu pignouf, le Bigoude. "Just-let-me-hear-some-of-that... Rock-and-Roll... Music!" à son avis, c'était un morceau des Biteules!... portait les douilles jusqu'à la ceinture et carburait aisément au heavy-métal.
Bibi n'était pas venu les mains vides. Une bonne dizaine de trente-trois tours dans un sac plastoc de chez Prisu à la limite de la fissure ; mais mézigue n'aimait pas trop lui laisser ce matos en pension, rapport aux rayures. S'était montré avide de défricher les roots, le Bigoude, tout du moins l'Frantic l'avait pigé ainsi. Roots ?... Chuck par exemple. Le b -a - ba du Rock'n'Roll 50's. J'dis pas qu'i'travaillait du bigoudi, le Bigoude, mais quand i's'mettait à dégainer sa gratte de l'étui, m'fusillait la trombine avec ses dégueulis hendrixiens, ses moulinages ledzep et ses blues à la Doors. Lui fallait expressément des cours d'histoire de Rock'n'Roll et de Blues (où qu'i'citait John Lee Hooker et B.B.King un point c'est tout, et j'parle pas des Winter, Clapton & Vaughan!...). Malgré ses vannes un peu pedzouilles, le Bigoude avait l'air d'accrocher à mes quarts-d'heures d'auditions pédago et mézigue le surprit plus d'une
fois prenant son fade à la découverte d'un vieux truc d'Howlin'Wolf, de Hound Dog Taylor ou de Casey Bill Weldon, comme si qu'on avait décarrés à la fraîche pour la cueillette des cèpes ou des girolles.
Et la Duchesse, me direz-vous ?. Bibi n'avait pas mordu une seconde à ses salades où elle chiquait qu'elle s'intéressait vraiment à mes trucs de prof. Je la soupçonnais plutôt d'avoir l'idée derrière la tronche de dégourdir le Bigoude qui lui avait tapé dans les mirettes une fois, chez l'Indien. J'm'étais pas gourré; au bout de quelques godets de tequila frappée, tout en écoutant mes pièces rares, j'la vois qui glisse du canapé à la moquette et qui commence
à fouiller dans la braguette de mon pote. Nous n'étions là que depuis une heure et elle était déjà beurrée comme une tartine. Evidemment elle ne prêtait plus aucune attention à son vieux pote qui l'avait amenée jusque là, et l'élève Bigoude était lui aussi barré sur une aut'planète que celle de la pêche aux perles en mer du vinyle. Qu'est-ce que je fous là ?! que je m'dis en finissant mon verre de casse-gueule à la hussarde et en me redressant comme un
sapeur. "Joh... nny ! Qu'est-ce que tu fiches ?! gémit-elle en roulant les billes vers mézigue, tu vas pas nous fausser compagnie ?!". Elle essaya de se redresser maladroitement, ayant à moitié corné l'une de mes belles pochettes de 33 tours. Elle rajusta sa blouse en s'appuyant sur la table basse, m'envoyant un regard dézingué qui me faisait comprendre que ça tanguait à bord. Le Bigoude allongé se planquait derrière le bras du canapé, faisant mine de chercher je ne sais quoi. J'me disais que j'pouvais pas la raccompagner dans cet état. Essayer de rejoindre la
Place d'Italie pour essayer de chopper un taxi était se jeter dans la gueule du loup. J'avais plus qu'à m'trouver un coin peinard, dans la cuisine par exemple, et attendre le petit matin en les laissant fricoter aux oeufs dans le salon. L'espace était plutôt restreint chez Bigoude. Ça s'entassait de tous les côtés. L'avait p'têt un bouquin à m'prêter, quoique j'en doutais.
Des bédés niquedouilles, de vieux torchifs ou des romans à la noix, c'est tout ce qu'i' trouverait à m'proposer. M'a refilé un vieux matelas qui ne rentra que courbé sur le sol de la cuisine, et Buenas Noches !.
Mézigue a perdu de vue le Bigoude, qu'a changé de gourbi. Parait-il qu'il se serait carapaté en province à la suite de bisbi avec les voisins. Foutait sa chaîne trop fort, et jouait de la gratte électrique à n'importe quelle heure.
La Duchesse ne cause plus de lui, sinon (en se rappelant cette bamboche) que c'était foutrement cradingue chez lui, et que j'devrais avoir honte d'avoir fréquenté pareil ramier.
Et tout ça m'est revenu à cause de cette pochette cornée, que dis-je, pliée, oui, cassée, striée d'une large barre en travers de l'impression quadrichromie de la photo de l'orchestre de Johnny Otis.
Johnny "The Frantic" Cavallo