Les zazous du Minton’s succombent au «be-bop»
Par EDOUARD
LAUNET
Le Minton’s Playhouse est un club de jazz tout neuf : il a moins de deux ans.
Au milieu de Harlem, il occupe le rez-de-chaussée de l’hôtel Cecil, au 210 Ouest
de la 118e Rue. Depuis quelque temps, on y entend de drôles de trucs,
joués par de drôles de types : Thelonious Monk, Kenny Clarke, Charlie Christian,
Charlie Parker, Dizzy Gillespie. Tous ces musiciens s’amusent à construire leurs
solos avec des notes piquées dans les superstructures d’accords compliqués.
Disons-le en termes plus simples : on a l’impression qu’ils ne jouent pas le
même morceau que la section rythmique. Cette nouvelle forme de jazz, interpretée
sur des tempos ultrarapides, n’a pas encore de nom, paraît-il. Sur le trottoir
du Minton’s, entre deux sets, un type m’a juste dit : «Let’s say it’s
be-bop.»
Le gars le plus bizarre de la bande, c’est le dénommé Thelonious Monk. Il a
un béret basque, des lunettes de soleil, le verbe rare et des mains comme des
battoirs. Sous ses paluches, jamais un piano n’a autant ressemblé à un
instrument de percussion. Sa façon d’accompagner les solistes est assez
hétérodoxe, mais peut-être qu’ici le terme d’accompagnement est inadéquat. Le
guitariste Danny Barker nous a confié : «Monk commence toujours par des
introductions vachement bizarres, qui doivent sans doute venir du cosmos puis y
retourner, mais quelque part dans ces intros, il glisse toujours le thème du
morceau à jouer.»
Le Minton’s est un club pour musiciens. Il y a un petit bar à l’entrée, une
petite salle au fond pour la musique, avec des nappes blanches et des fleurs
dans des vases. Beaucoup de musiciens arrivent tard, après leurs concerts.
Démarrent alors des jam-sessions qui paraissent faire office de
laboratoires. On sort de là avec le sentiment que tous ces jeunes gens ne jouent
que pour dérouter leurs auditeurs. Nous devons reconnaître qu’ils y parviennent
souvent. Le petit Charlie Parker nous a semblé particulièrement prometteur.
Post-scriptum : fermé en 1974, le Minton’s a rouvert ses portes en
2006 sous le nom de Uptown Lounge at Minton’s Playhouse
Source : http://www.liberation.fr/societe/0101642016-les-zazous-du-minton-s-succombent-au-be-bop
LIEN DONNE PAR LITTLE JOE (merci à lui)